Tout a commencé par un article de presse paru début 2023. Le titre résonnait comme une alarme : « Royaume-Uni : 76 mineurs disparaissent mystérieusement, la police soupçonne un trafic d’enfants. » Publiée sur France Info, cette nouvelle évoquait des adolescents migrants hébergés dans un hôtel du Sussex par le ministère de l’Intérieur britannique. En quelques mois, plus de soixante-dix d’entre eux avaient disparu sans que personne ne semble réellement s’en émouvoir. Le soupçon d’un réseau de traite s’ajoutait à l’inaction politique.
Ce fait divers m’a profondément marqué. Comment autant de jeunes peuvent-ils s’évanouir sans que cela déclenche un tollé national? L’histoire m’a obsédé, et très vite, j’ai su que j’allais en faire la matière d’un roman. Pas pour raconter les événements de manière journalistique, mais pour explorer les zones d’ombre, donner un visage à l’inexprimable et rendre audible ce qui
À cette indignation s’est ajoutée une autre source d’inspiration: un voyage effectué à l’automne 2024, à bord d’un narrowboat. Pendant deux semaines, j’ai navigué le long de plusieurs canaux anglais : le Shropshire Union Canal, sa branche de Middlewich, le Trent and Mersey Canal, et le Staffordshire and Worcestershire Canal. Le trajet m’a mené à travers des villes comme Nantwich, Middlewich, Crewe et jusqu’à Barbridge Junction. Ces lieux, à la fois paisibles et marqués par l’histoire industrielle, ont offert un décor naturel et contrasté à un récit sombre.
C’est dans cet environnement fluvial, entre brume, silence et lenteur, que s’ancre l’intrigue de mon roman.
Au centre de l’histoire : Caoimhe Pennant, une médecin solitaire, marquée par une tragédie personnelle, qui sillonne les canaux à bord de son bateau. Juste après sa naissance, le bébé de son amie Layla disparaît. Poussée par un mélange de culpabilité et d’instinct, Caoimhe se lance dans une enquête officieuse avec l’aide Marc et César. Au fil des écluses et des haltes, elle remonte une piste inquiétante — celle d’un trafic d’enfants opérant dans l’ombre, avec la complicité muette de certains acteurs bien insérés dans le tissu local.
Les canaux, ici, ne sont pas de simples décors. Ils deviennent acteurs de l’intrigue : espaces d’évasion, zones grises où tout peut circuler, y compris le pire. La vie sur l’eau, avec ses codes, sa lenteur, ses rencontres furtives dans des pubs ou aux stations d’eau, permet d’explorer la frontière entre visible et invisible. Pour écrire, j’ai utilisé comme matière première des extraits de mon journal de voyage, ainsi que des clichés pris lors de mon périple. J’ai également été inspiré par les ambiances rencontrées, telles que la luminosité tamisée le long des quais de Nantwich, les journées de navigation pluvieuses, les odeurs de diesel et les rencontres lors du passage des écluses.
Ce roman, aujourd’hui achevé, n’a pas la prétention de résoudre quoi que ce soit. Mais il pose une question essentielle: dans une société saturée d’informations, comment des enfants peuvent-ils disparaître sans que cela devienne une urgence collective? Et que reste-t-il, à celles et ceux qui restent, quand tout le monde détourne les yeux?